mercredi 20 août 2014

Noé & Amanaket, quatrième partie

Noé & Amanaket 

Voici la quatrième partie de Noé et Amanaket! Et l'avant dernière, par la même occasion. Et oui, ce texte n'est pas excessivement long, et la cinquième partie est assez courte, d'ailleurs.

Donc, ce passage comprend une première partie centrée sur Amanaket et la seconde sur Noé. C'est un peu la charnière de l'histoire... 

Avant de passer au texte proprement dit, je me posais une question: Pour chacun des petits passages que je vous mets, aimeriez vous un titre ou vous vous en fichez?

(la troisième partie...)
 Le 34ème jour avant le Changement

        
On a rencontré une fille ! Elle s’appelle El'amélléa. Elle vit dans une Ville, qui n’est que peuplée de femmes. Elles doivent abandonner leur enfant à la naissance, même avant, sans qu’elles connaissent ni le père, ni l’enfant. L’enfant part rejoindre soit une Ville masculine, soit une Ville féminine dans les Sections. Je pense, je sais qu’elle souffre de cette règle, vu qu’elle, elle connait le père de l’enfant qu’elle porte. Ils se sont rencontrés lors d’une partie de chasse et ils se sont revus régulièrement. Elle a finit par tomber enceinte. Je n’ai pas pu m’empêcher de sentir le bébé bouger sous mes mains. Je sais que je n’aurais jamais cette joie de sentir MON enfant bouger. Les filles, à la Cité, le sentaient bien, que je ne saurais être leur époux. Mais je ne peux que m’émerveiller devant la beauté qu’est la grossesse.  
Je pense qu’elle va souffrir comme je pense que beaucoup souffrent de ne pas connaitre leurs parents et leur descendance. Sous prétexte de protéger les femmes, ils détruisent le cadre de la famille. Mais si je ne pourrais sûrement pas être père, je m’imagine vivant dans une cellule familiale, je ne me verrais pas confier mes enfants à des inconnus. Et je pense qu’un enfant élevé comme ils le sont ici bas, limite à la chaine, limite de façon industrielle, ce n’est pas favoriser son développement. C’est juste l’élever comme avant, on élevait du bétail. Certains parlent de progrès et d’élévation de l’être humain. Ça me fait plutôt penser à un retour en arrière. Un retour à l’animal. Utiliser les femmes comme « pondeuses » d’enfants. Ce concept me fait frémir. Je ne sais pas ce que je serais, si j’avais été élevé comme ça.
Noé n’a pas été bavard. Il devait être intimidé, en tout cas, c’est ce que je pense. Il doit se rendre compte qu’on lui a mentit. Je comprends qu’il puisse être bouleversé. Je le comprends tellement.
J’aimerai tellement plus le comprendre…
Le 19ème jour avant le Changement
Noé me boude. Il me fait la tronche. Il refuse de me parler et me jette des regards noirs… il m’en veut. Il m’en veut de lui avoir ouvert les yeux. Il m’en veut d’être tombé de ma Cité. Il m’en veut d’avoir rencontré El'amélléa. Il m’en veut de savoir que les Guides leur cache des choses. Il m’en veut de voir que des gens puissent souffrir des décisions qu’il considérait comme bonnes. Il m’en veut vraiment. Et je n’aime pas le voir comme ça, torturé, rongé par ce sentiment. Je me sens coupable de son état, mais en même temps… je n’y peux rien. Je n’aime vraiment pas le voir comme ça.
Hier, j’ai revu El'amélléa. ILS m’ont autorisé à sortir seul. Je dois leur demander pour faire le moindre geste. Et le pire, c’est que je pense qu’ils savent. Mais ils m’ont laissé, c’est le principal. Noé n’a pas voulu venir. Il a dû lire dans leurs yeux une contre-indication, peut-être. Car j’ai appris cela, en vingt jours (au moins quelque chose d’utile). Les habitants de Pa’ri ne communiquent pas avec les mots, ou peu. Ils communiquent avec les yeux. Ils ont un langage visuel. Un peu embêtant pour celui qui ne sait ce qu’il dit. Mais passons. J’ai revu El'amélléa. Je suis allé au même endroit que la dernière fois, près du lac. J’ai eu un peu de mal à le retrouver, car on avait bien tourné, avec Noé, pour s’y rendre la première fois. Elle était là. Son ventre s’était arrondi entre-temps. Quel bonheur de sentir le cœur du bébé battre sous ma main !
El'amélléa m’a appris ce qui allait se passer, lors du Changement. Sur les Cités volantes, on ne connait que des perturbations climatiques et la modification des routes aériennes. Ici, la Nature reprend ses droits en cinquante jours. Pendant cinquante jours, elle se réveille d’un sommeil de cinquante ans. Les animaux changent. Pendant cinquante jours, elle est reine toute-puissante et vengeresse. Et durant ces cinquante jours, les hommes ne sortent pas. Ils restent terrés dans leur Ville. Alors qu’au dehors, les Villes féminines essayent d’agrandir leur « territoire de chasse ». Elles tentent de prendre des Villes masculines à d’autres Villes féminines, et les rapports de forces établis au premier jour Post-Changement est définitif jusqu’au prochain Changement. Et le Changement est aussi l’occasion d’un « nettoyage » interne des Villes féminines. Les éléments les plus faibles meurent au combat ou sont sacrifiées.
El'amélléa a peur pour elle et pour son enfant. Elle n’est pas passée par ce qu’elle appelle la « voix normale » pour avoir son petit, et elle a peur que ses Guides le lui fassent payer. Je lui ai fait une promesse. Je la protégerai. Je ne serais sûrement jamais père, mais au moins, j’aurais protégé un enfant. Je le jure.
Le 5ème jour avant le Changement/le 4ème jour avant le Changement
On doit être au moment où l’on bascule entre la veille et le lendemain, un moment qui n’a pas vraiment de date. Un moment qui n’existe pas vraiment, sauf pour celui qui est réveillé et pour qui le temps prend une autre dimension. Ce matin, on va partir. En tout cas, je vais partir. J’ai essayé de convaincre Noé mais je n’ai pas réussi. Il ne m’adresse pas la parole. Il me fuit. Ça me  fait mal. Vraiment mal. Je me suis réellement attaché à lui, peut-être plus qu’il ne le pense. Je ne veux pas le laisser derrière moi. Surtout que je ne sais pas ce que deviendra cette Ville… je vais partir, je vais rejoindre El'amélléa. On va s’éloigner des Villes. D’après elle, il existe une région au Sud peu habitée, non colonisée par leur civilisation. A cause de la Nature, pense-t-elle. En tout cas, on va partir dans cette direction. Le Sud.
Mais, avant de partir, je vais te laisser ce texte, Noé. Je ne dois rien prendre. Et puis, je pense que tu as le droit de comprendre mes motivations.
Noé. Tu as sûrement lu les lignes ci-dessus. J’espère que tu as compris mes idées. Un enfant est l’apparition d’une nouvelle vie. On doit aimer pour donner la Vie. On ne procrée pas comme ça, comme vous faites. Un enfant,  c’est un être à part entière, qui est le fruit d’un amour et d’un partage. Un enfant, c’est une vie qui nous est confié, qu’il faut développer et faire grandir. Ce n’est pas à coup de nourriture et de sentences qu’un enfant grandit, un enfant, ça grandit grâce à l’amour que nous lui donnons sans compter. Un enfant, on le protège, on l’aide à devenir ce qu’il souhaite. Un enfant, il nous émerveille, il nous charme. Il nous fait oublier notre vie, notre fatigue et notre colère par son sourire et ses larmes. Un enfant, tu sacrifies tout pour lui. Tu t’oublies pour lui. Un enfant, c’est la plus belle merveille au monde. Et on ne sait pas encore inventer la vie dans des laboratoires. La vie, c’est quelque chose qui s’en va, qui s’envole, qui vient. On ne maitrise pas la vie. On ne maitrise pas l’amour. Et c’est l’amour et la vie qui gouverne l’humanité.
Quand tu aimes quelqu’un, tu veux le voir sourire, tu veux le savoir près de toi, tu veux le savoir heureux. Tu peux être prêt à beaucoup pour lui. Quand tu aimes quelqu’un, il compte beaucoup plus que les regards des autres et que ton confort. Pour cette personne, tu es prêt à souffrir pour le savoir heureux. Quand tu aimes quelqu’un, tu es prêt à subir le silence plutôt que le perdre. Et si ta vue lui fait mal, tu es prêt à partir loin de lui. Quand tu aimes quelqu’un, tu as mal quand il a mal. Quand tu aimes quelqu’un, tu es à la fois enfant et parent. Quand tu aimes, tu te trouves réellement. Tu mesures ce que tu es et jusqu’où tu es prêt à aller. Quand tu aimes, tu es toi.
Voilà ce que je voulais te léguer avant de partir. Mes définitions de ces mystères de l’existence humaine : la Vie, l’enfant et l’Amour.
Le jour va se lever. Je vais rejoindre El'amélléa. Je pars. Je quitte ta Ville, Noé. Je quitte ta vie. Tu n’entendras plus jamais parler de moi, je te le jure. Je pars pour toujours. Je pars par amour. Tu peux faire ce que tu veux de ce que je t’ai dis, ce qu’on a vécu ensemble. Tu peux oublier. Je ne le saurais jamais, mais moi, je n’oublierai pas. Car, avec toi, j’ai compris le sens que je donnais à ces mots.
J’espère seulement qu’un jour, tu t’en souviendras.
Adieu.
La dernière feuille tremblait dans les mains de Noé. Elle ne tarda pas à rejoindre les autres sur le sol de la chambre. Noé les avait trouvées passées sous la porte en revenant du petit-déjeuner. Au fur et à mesure qu’il avait parcourut les lignes laissées par Amanaket, il sentit son cœur rétrécir dans sa poitrine. Un vide se creusait peu à peu en lui, en même temps que les mots d’Amanaket le touchaient, à la fois larmes et rires. Ces mots exprimaient tellement de choses. Ils avaient réveillé en lui des sentiments qui l’envahissaient lentement, par vagues successives, portant en même temps une douceur et une force insoupçonnable.

Noé ferma les yeux. En un instant, sa décision était prise. Il se leva. Quand il se tint sur le seuil de la porte, il jeta un ultime regard dans la pièce avant de s’en aller. Définitivement.


Il marchait dans la sphère d’un pas qu’il voulait tranquille, alors que tout son corps lui criait de courir et de quitter cette prison au plus vite. Croiser ses concitoyens sans que son visage ne révèle quoique ce soit lui coûtait énormément. Il étouffait entre les silhouettes familières qui paraissaient vouloir le retenir dans leur ombre, dans leur sourire. La tête lui tournait. Il devait rejoindre le lac. Vite. Il ne se sentait plus capable de penser à autre chose. Quand il sortit de la Ville, il eut l’impression que quelque chose s’était brisé derrière lui, comme si, enfin, il quittait un lieu d’incarcération.
L’immensité blanche l’accueillit. Il en avait l’habitude, mais sa monotonie et son étendue le saisirent soudain. Il allait devoir traverser tout cela. Tant que l’on sait où l’on va, on ne se pose pas de questions. Mais quand on est seul dans un désert, on se sent perdu. Noé, qui se sentait fier et sûr de lui quelques secondes, se retrouva aussi désarmé qu’un nouveau né. Il lui sembla redécouvrir son environnement. Il sursautait à chacun de ses pas. Il ne reconnaissait rien. Il se mit à courir. Il devait rejoindre Amanaket. Le trajet jusqu’au lac lui parut infini. Son cœur battait dans sa poitrine à une vitesse alarmante. Il tambourinait contre ses côtes à lui faire mal. Sa vue se troublait quand il aperçut le lac du sommet d’une crête. Des larmes avaient gelé sur ses joues. Sur le bord opposé, deux petites silhouettes se tenaient immobiles. A moitié glissant, à moitié tombant, Noé rejoignit la rive glacée. En face de lui, les silhouettes ne bougèrent pas.

Noé voulut les appeler, voulut leur faire signe. Il prenait de la vitesse. Il ne contrôlait plus rien et tomba dans la neige. Il roula jusqu’en bas de la pente et percuta la glace. Il releva la tête et cria :
-                Amanaket ! … A…Amanaket !
Puis, une masse froide s’écrasa sur son dos. Le froid le tenait dans une sorte d’étau. Il peinait à respirer. L’air qui lui parvenait le brûlait, glacé et son corps s’enflammait au contact de la neige. Un voile noir masqua sa vue et il perdit connaissance.


Voilà! Et rendez-vous début septembre pour la fin!
Bisous à vous
Ange Lune

1 commentaire:

  1. Je viens de lire tes quatre parties d'un coup et j'aime beaucoup ton histoire! J'espère que tu nous en apprendras plus sur le passé d'Amanaket dans la dernière partie. Et je trouve que cette idée de saisons qui changent tous les cinquante ans est super!
    J'ai juste relevé deux/trois fautes dans la narration et un peu plus dans le premier dialogue de la première partie. :)

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